Tina Barney : la bourgeoisie américaine au Jeu de paume

Jill and Polly in the Bathroom, 1987 © Tina Barney, courtesy Kasmin, New York

Le Jeu de paume à Paris consacre, jusqu’au 19 janvier 2025, une exposition à la photographe américaine Tina Barney. Avec ses portraits de la bourgeoisie américaine et de l’aristocratie européenne, Barney capture depuis les années 1980 les images de la haute société.

Elle-même issue de ce milieu, elle observe ses sujets avec une intimité qui fait de ses photos une archive visuelle de ces élites souvent inaccessibles.

Une exploration de la bourgeoisie américaine

Tina Barney, née en 1945 à New York, a grandi dans l’univers feutré de l’Upper East Side de Manhattan. Fille d’une famille collectionnant des œuvres d’art comme celles de Renoir et Degas, elle découvre jeune la richesse visuelle des intérieurs bourgeois. Ce n’est qu’à trente ans qu’elle commence la photographie, inspirée par sa collection de clichés de Robert Frank, Lee Friedlander et Walker Evans. “Collectionner était probablement le meilleur outil d’apprentissage dont j’aurais pu rêver”, confie-t-elle, expliquant comment l’observation des maîtres de la photographie a formé son regard.

Sa carrière démarre avec des portraits de sa propre famille et de son cercle proche. Elle capture des scènes du quotidien, des moments familiaux dans des décors fastueux, révélant la simplicité de gestes quotidiens au sein d’un environnement luxueux. Cette approche rappelle celle de Nan Goldin, bien que Barney se distingue par une technique plus contrôlée et un cadre formel. Au fil des ans, elle immortalise sa sœur, sa mère, et des amis de ce cercle social, conservant une authenticité brute et une absence de mise en scène.

Theatre of Manners : une approche directe

En 1983, après un divorce, Tina Barney abandonne son appareil Pentax pour une chambre photographique plus imposante. Ce nouvel équipement lui permet de composer des images à la manière d’un peintre face à son chevalet, ajoutant une formalité à son approche. Les portraits de cette période, regroupés sous le titre Theatre of Manners, montrent la bourgeoisie américaine dans son quotidien, sans critique ni ironie. Dans The Young Men (1992), trois hommes échangent des regards qui évoquent les comportements codifiés de la haute société.

“Je prends toujours des centaines de photos avant d’être satisfaite du résultat d’au moins une d’entre elles”, explique Barney, qui capte l’essence de ses sujets en capturant leurs interactions subtiles et gestuelles. Des œuvres comme Sunday New York Times ou In the Garden (1982) témoignent cette minutie et de son intérêt pour les codes sociaux de son milieu.

L’aristocratie européenne et le poids de l’histoire

Dans les années 2000, Tina Barney élargit son champ d’exploration à l’Europe, où elle photographie l’aristocratie continentale pour sa série The Europeans. Ce projet révèle des dynamiques différentes de celles de la haute société américaine : “En Europe, tout était plus formel et réservé que les familles et mes amis que j’ai pu photographier aux États-Unis”, se souvient-elle. Dans ces portraits, les attitudes des sujets, héritées de générations antérieures, se figent presque dans le temps. Ils évoquent une tradition visuelle marquée par des siècles d’histoire.

Cette série introduit une lenteur et une formalité accrues dans son processus, comme en témoignent les portraits de familles aristocratiques entourées d’œuvres d’art et de meubles historiques. Julianne Moore, par exemple, est capturée dans un intérieur qui la rend comparable à un tableau de Renoir.

Un regard qui évolue avec le temps

Les critiques sur le travail de Tina Barney ont évolué avec les décennies. Si ses photos des années 80 et 90 étaient perçues comme froides et distantes, elles sont désormais vues avec une certaine douceur, une familiarité développée par l’accès généralisé à divers milieux via les réseaux sociaux. “Observer l’intérieur et les habitudes d’une autre classe sociale n’est plus aussi inhabituel”, note Barney, analysant la transformation de la perception publique à l’ère d’Internet.

Héritage et fragilité

Un motif récurrent dans le travail de Tina Barney est l’espace vide laissé dans un coin inférieur de ses photos, sans personnage ni décoration. Pour elle, cet espace symbolise la précarité de la stabilité sociale. “Dans mes clichés, la question de l’héritage se pose. Et ma réponse serait d’apprécier chaque moment, de sauver chaque souvenir. Car ce que nous possédons aujourd’hui peut disparaître demain.” Barney capture ainsi non seulement des images de son milieu social, mais aussi la fragilité de cet univers.

“Tina Barney. Family Ties”, au Jeu de paume, Paris, jusqu’au 19 janvier 2025.

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